La Mer


Ma Mer (2)Chaque soir, avant que le soleil ne se couche, nous nous imposons un rituel: marcher le long de la mer, d’un pas vif, mais en prenant le temps de faire quelques haltes pour observer les baigneurs attardés qui profitent des pâles rayons du soleil couchant pour se laisser caresser paresseusement par une douce chaleur de fin d’après-midi.

Notre promenade se termine toujours par une halte à la terrasse d’un bar, face à « la mer ».

C’est l’instant où, attablés devant une bière bien fraîche, qui récompense l’effort -modeste – consenti pour la marche, je m’abandonne à quelques rêveries, inspirées par la vue du large.

Je ne puis m’empêcher d’avoir une pensée pour cette terre qui se trouve de l’autre côté de l’horizon, où reposent mon père et sa famille.

J’ai toujours entretenu une relation sentimentale avec cette Méditerranée qui m’a vu naître, à laquelle sont rattachés mes plus beaux souvenirs d’enfance. Il est impossible de faire mieux que Camus pour parler de ces choses…., Lorsque je relis « Noces », et « L’été à Alger » j’ai l’impression qu’il a trempé sa plume dans un rayon de soleil. J’aime les passages où il évoque le goût, sur ses lèvres, du sel de la mer….

Je fais partie des survivants de ceux qui, comme lui, ont eu le privilège de vivre les meilleures années d’une jeunesse encore insouciante en communion avec cette mer généreuse. Nous étions pauvres, mais heureux, car le soleil et la mer suffisaient à notre bonheur.

Dans mes veines coulent du sang espagnol, italien,  maltais, et si je suis profondément attaché à la France, à son Histoire, à sa culture et à ses valeurs, j’ai souvent été tenté de répondre à ceux qui essayaient de percer le secret de mes origines,et à qui je n’avais aucune envie de raconter ma vie, que j’étais, pardessus tout,…..un « méditerranéen ».

Je me suis toujours senti plus proche, intellectuellement, de ceux qui sont imprégnés de culture latine ou grecque que de ceux pour qui Goethe symbolise l’alpha et l’oméga de la pensée européenne.

J’appartiens à une culture qui préfère l’huile d’olive au beurre, qui cuisine avec de l’ail, du thym et du laurier, et plus volontiers des tomates, des poivrons, des courgettes et des aubergines que des patates…

Pour moi les états d’âme d’un Werther reflètent un romantisme étrange et pathétique, et s’il m’est arrivé, comme Camus,  de trouver dans le « Zarathoustra » de Nietzsche des accents inspirés par la « mort de Dieu » et par la « beauté du Monde », je n’ai, le plus souvent, retrouvé l’apaisement qu’en revenant aux sources de mes lectures de jeunesse, qui me ramènent invariablement vers Homère pour l’Aventure, Virgile pour la Poésie, et les grands philosophes de notre antiquité qui sont à la racine de toute culture européenne: Socrate, Platon, Esope, et surtout Plutarque dont je ne me lasse jamais de relire les « Vies des Hommes Illustres »….

En vieillissant, je n’échappe pas au besoin de m’accrocher encore plus, à ce qui est éternel…..

Mais cela m’éloigne de mon propos.

Car ce soir, j’avais envie de parler de la mer.

Celle dont Charles Trenet a fait un petit chef-d’oeuvre de poésie populaire, celle « qu’on voit danser le long des golfes clairs, celle qui a des reflets d’argent, etc » »…..

Celle dont un auteur aujourd’hui oublié, Gabriel Audisio, a écrit, dans « Héliotrope »: « Il n’y a qu’une seule mer: la Méditerranée. Après cela il y a des mers, des océans, de l’eau. Mais moi, je parle de « la Mer », l’Unique, la mienne. »….

Tous deux parlent de cette mer dans laquelle j’ai si souvent plongé, que j’ai partout explorée, au cours de somptueuses baignades ou de parties de chasse sous-marine, à la recherche d’un mérou mythique. J’ai été émerveillé par la beauté de ses profondeurs, fasciné par l’ombre féline d’une ombrine se réfugiant entre deux roches, par l’éclat métallique d’un sar ou d’une oublade, par les nuages de girelles aux couleurs d’arc en ciel quand elles traversent un rayon de soleil, par le poulpe au regard interrogateur, ou par la murène aux dents acérées prêtes à saisir leur proie….

Car en effet, cette mer je l’ai explorée sur de nombreux rivages : en Algérie, bien sûr, mais aussi, en Corse, en Tunisie au large de Tabarka, au Maroc, en Espagne, en Grèce, en Turquie.

Sorti de l’eau, en promenant mon regard, les yeux brûlés par le sel, j’ai éprouvé partout le même émerveillement devant la beauté du monde, et celle de ces paysages lumineux,  avec leur végétation si particulière, où règnent le pin, l’olivier, le citronnier, l’oranger, le palmier , le laurier rose, les bougainvillées, le thym sauvage, le romarin, la menthe, l’absinthe, l’héliotrope ou le cactus…

Et les gens,- issus d’un brassage de races inoui – , ne sont différents qu’en apparence,   dans leurs traditions, leurs langues, leurs habitudes de vie. Ils ont en commun cette chaleur humaine, qui confine à l’exubérance tapageuse et qui contraste avec la « retenue » des gens du Nord, qui, pourtant, – comme chacun sait -, « ont dans le coeur, le soleil qu’ils n’ont pas dehors »….

Mais sous la surface de l’eau, la Méditerranée est partout semblable à elle même. 

C’est ce qui m’a toujours fait penser qu’autour de « la Mer », les différences ne sont que superficielles….Il suffit de se promener dans les ports pour en faire le constat: les pêcheurs ont tous, plus ou moins la même allure, leurs bateaux se ressemblent, la même odeur iodée se dégage des filets qui sèchent au soleil, et la même odeur de friture de poisson « embaume » les ruelles étroites et ombragées….

C’est tout cela qui fait que « ma » mer, je la reconnais partout, au seul goût salé du vent chargé d’embruns, je la devine, au loin, derrière les collines, ou, dès qu’elle réapparaît, à l’éclat métallique et lointain de la vague qui brille au soleil.

Je connais sa musique lorsque la vague se brise contre un rocher, ou lorsqu’elle vient mourir dans un chuchotement sur le sable de la plage. Je connais son odeur chaude, où l’iode se mélange au parfum des algues. Je connais ses couleurs qui épousent celles du ciel, son bleu laiteux du matin au lever du soleil, puis son bleu cobalt au soleil de midi, et ses couleurs turquoise quand la vague passe au dessus de fonds sableux….

Chaque soir, en buvant à petites gorgées, ma bière bien fraîche, je l’observe amoureusement, un peu triste de savoir dans quel état elle se trouve aujourd’hui à cause de la pollution humaine.

Et je l’observe en  sachant aussi, qu’un jour elle me prendra dans ses bras, elle m’enveloppera et m’emportera pour un dernier voyage, vers l’inconnu d’une destination où la mer rencontre peut-être le ciel.

Sait-on jamais ???, car de cette destination-là, personne n’est jamais revenu pour raconter son voyage …..

4 réflexions au sujet de « La Mer »

  1. Je constate, – une fois de plus -, que vous avez d’excellentes lectures. ‘Jeunesse de la Méditerranée » est également un chant d’amour pour les rivages de cette mer qui fut, autrefois, bénie des Dieux. Il y a dans ce livre des pages que je savais par coeur autrefois…A propos d’Alger, par exemple:
     » C’est une ville, comme Vénus, qui naît sur un flot. Elle sort de la mer, elle est blanche, elle est charnue. Quand le soleil se lève, il l’élève à bout de bras, ruisselante de lumière et scintillante du sel de l’eau »……
    Audisio a écrit, également, entre autres, un excellent petit livre intitulé « Trois hommes et un minaret », dédié curieusement à « Abd-Er-Rahmane,Général en Chef des Armées Sarrazines,tombé glorieusement sur le Bilat-ech-Chouada, près de Poitiers, en l’an 113 de l’Hégire »…..

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  2. Que de souvenirs enfouis qui reviennent nous faire réver,comme au temps ou mes parents nous emmenez voir cette mer chérie. Merci.

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